Passeurs d'Histoires
J'ai l'intime conviction que nous conteurs, sommes des passeurs d'histoires; qu'au-delà de la création, les contes eux-mêmes résident quelque part, n'attendant qu'un esprit ouvert à l'instant t pour s'y insuffler.
Je n'écris pas. Tout part d'une idée ou d'un thème, parfois même d'un besoin. Je parle à cet imaginaire, et c'est au fur et à mesure que le conte se construit, changeant parfois totalement de direction. Au creux d'un fauteuil, dans la nature ou assise à l'entrée d'une caravane, je laisse venir puis j'avance, dans le dédale des mots où aucun personnage n'a d'emblée le premier rôle.
J'ai le regard fixe, je suis dans une bulle impénétrable: L'histoire grandit si je lui laisse assez de temps, assez de place. Ma page blanche est le silence. Quand je commence à chuchoter, les dés sont jetés.
Ainsi depuis 18 ans, j'ai dû me raconter, me répéter une centaine d'histoires, dont peu resteront ; deux disques et quelques enregistrements en sont les seuls témoignages aujourd'hui. Mes contes vivent lorsqu'ils sont écoutés et qu'ils trouvent un écho, et si dans l'oralité je me retrouve, je n'y ai aucune prétention.
J' ai toujours adoré les timbres des voix masculines en tant qu'auditrice; et j'ai appris au fil du temps à manier la mienne, pour arriver à captiver sans agresser, sans imposer. J'aurais pu, et je devrais peut être, intégrer de ces nombreuses formations autour du conte, plus rares il y a 20 ans mais aujourd'hui très répandues.
Si j'ai été tentée, je n'y suis jamais allée. Je ne cherche pas à conter comme les autres, ou à me découvrir à travers eux. L'authenticité du conteur est précieuse, elle se voit dans ses défauts et qualités de diction, dans sa posture et sa mise en scène. Le cheminement est aussi personnel qu'un travail sur soi. Il est perpétuel, et c'est bien ça qui est touchant chez un conteur, quel que soit son âge.
Ce qui est vrai pour moi ne le sera peut être pas pour tous.
Je ne reprends jamais d'histoires du patrimoine littéraire ou oral, et pourtant, les similitudes ne sont pas rares.
Il est fréquent de lire ou d'entendre, des années plus tard, un Conte presqu'identique à celui dont on pensait être l'auteur.
Sur scène, le défi est circassien.
Le conte suspendu à mes lèvres est le fauve, j'en suis la dompteuse qui, malgré les heures de travail, sait qu'à tout moment il peut se retourner contre moi.
Il faut dresser les mots et leur décor, pointer avec justesse, maîtriser face au public un numéro dont les images seront différentes pour chaque SPECTATEUR.
Parfois, le conte nous échappe dans une fade récitation. Ce sont des moments rares et très désagréables ; et c'est bien la différence, entre réciter et raconter. Faire vivre une histoire, c'est établir une connection entre le conte et soi, l'étendre au public,comme un feu qui s'embrase, réchauffant tous ceux qui s'approchent. Lorsqu'on se retire, et que l'on aperçoit certains regards vagues, comme ennivrés par l'histoire dont ils ne sont pas encore sortis, on l'a touché du doigt:
le cœur du conte bat chez les autres...
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